Face aux pseudosciences et au paranormal : le rôle des journalistes

C’est bien connu, la politique, le sport, le divertissement et les scandales reçoivent dans l’ensemble des médias de masse une couverture nettement plus importante que la science. Il en est de même de l’espace médiatique accordé aux phénomènes paranormaux et aux approches pseudoscientifiques.

serge-lariveePar Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal.

Cela s’explique tout simplement par la loi du marché. Autrement dit, les lecteurs ou les téléspectateurs encouragent à leur insu leur propre sous-développement en redemandant toujours et encore, en raison de facteurs complexes et variés, des produits plus ou moins nocifs pour l’intelligence et pour la compréhension du monde.

Pour appuyer mon point de vue et, du coup, insister une fois de plus sur le rôle crucial du journalisme scientifique, je présenterai sommairement une partie des résultats d’une étude longitudinale sur l’espace occupé, d’une part, par les pseudosciences (paranormal, ésotérisme, nouvel âge, arts divinatoire, etc.) et, d’autre part, par les livres de sciences et de vulgarisation scientifique dans les librairies du Québec (Larivée, Sénéchal, Miranda et Vaugon, 2013). Deux mesures à dix ans d’intervalle ont été prises, l’une en 2001 dans 55 librairies et l’autre en 2011 dans 72 librairies. Les résultats sont clairs. En 2001, le pourcentage de livres de pseudosciences est de 89,1 % (contre 7,3 %) et en 2011, de 86,50 % (contre 8,6 %).

Comme les livres sont d’importants vecteurs culturels (Morling et Lamorfeaux, 2008), l’espace qui leur est attribué en librairie constitue un bon indicateur de la place des sciences et des pseudosciences dans une société.

Il est possible de faire du journalisme scientifique aux heures de grande diffusion de telle manière que le public le moins averti puisse parfaitement comprendre une démarche scientifique.

Il ne s’agit évidemment pas du seul indicateur. Comme le contenu des journaux, des magazines, de certaines émissions de télévision et de l’internet contribue aussi largement à la promotion des pseudosciences et du paranormal, il faut espérer que les interventions écrites ou télévisuelles des journalistes scientifiques en faveur de la démarche scientifique ou contre les pseudosciences parviendront à séduire le même public et à promouvoir un minimum d’esprit critique, de culture scientifique et d’intérêt pour les sciences et la recherche.

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J’en veux pour exemple une petite séquence du téléjournal français (TV5) diffusé le 8 décembre 2015. Cette émission présentait les résultats d’une recherche comparative sur le talent mathématique des filles et des garçons à l’aide de la technique d’imagerie cérébrale : est-il vrai que les filles n’ont pas la bosse des mathématiques? Particulièrement convaincants, sinon fascinants, la démarche et les résultats présentés en deux minutes contredisaient le mythe selon lequel les filles ont un cerveau moins enclin à la chose mathématique. En fait, plutôt influencées par des stéréotypes séculaires à l’effet qu’elles sont moins douées pour les maths, leur zone cérébrale responsable du raisonnement mathématique (clairement montré par l’imagerie) se trouve affectée par des émotions négatives quand elles font face à un problème prétendument plus difficile.

Il est donc possible de faire du journalisme scientifique aux heures de grande diffusion de telle manière que le public le moins averti puisse parfaitement comprendre une démarche scientifique qui, dans ce cas-ci, dément un mythe nuisible pour toute une partie de la population.

(…)

Comment s’octroyer de la crédibilité en détournant le vocabulaire scientifique?

Un des procédés les plus utilisés par les défenseurs du paranormal pour assurer leur crédibilité est de recourir à un vocabulaire emprunté à la science et de truffer leur discours de termes scientifiques cités hors contexte tout en occultant le fait qu’ils passent outre la démarche scientifique.

Les tenants du paranormal ont compris que faire appel au doute était rentable.

À cet égard, la physique quantique se révèle une source privilégiée à laquelle puisent les pseudoscientifiques intéressés particulièrement par les médecines alternatives et complémentaires (MAC).

Par ailleurs, les tenants du paranormal ont compris que faire appel au doute était rentable. Il s’agit là d’une stratégie idéale pour assurer le succès de ces marchands de faux doutes. À cet égard, l’industrie des MAC se démarque dans l’art de manipuler le pseudoscepticisme. Sous prétexte que la médecine officielle échoue à traiter certaines maladies, des promoteurs des MAC misent alors sur ces échecs mais font également miroiter les bienfaits des MAC. De plus, même si certains chercheurs font des efforts pour vulgariser leurs découvertes, peu s’intéressent au paranormal, et lorsqu’ils s’y intéressent, leurs objections ne rejoignent pas nécessairement le tout-venant. Ce faisant, les promoteurs des pseudosciences, qui utilisent à qui mieux mieux les médias de masse, ont le champ libre.

Manipuler les esprits par le recours au doute repose, entre autres éléments, sur le fait que peu de gens différencient les notions de cause et de probabilité et, d’autre part, sur le fait que les gens ignorent souvent que la démarche scientifique ne débouche pas nécessairement sur des certitudes. En fait, comme la science n’explique pas tout, elle ne nous procure qu’une connaissance partielle de la réalité. Ce constat fait conclure aux partisans du paranormal que la science est faible et vulnérable. Si la science est incertaine, alors tout est incertain et, évidemment, la vérité est ailleurs, d’où la pertinence de croire, si on a l’esprit «ouvert», aux propositions des pseudoscientifiques.

Non seulement les pseudosceptiques utilisent-ils les médias, mais ils exigent, sous prétexte de présenter tous les faits, que les journalistes présentent les deux côtés de la médaille. Fortement ancré dans la «doctrine de l’équité», l’appel à l’équilibre journalistique veut que les journalistes consacrent le même temps et le même espace au «pour» et au «contre» de tout sujet controversé d’intérêt public. Or, c’est oublier que l’idée d’un temps de parole partagé peut avoir un sens politique, mais pas en science, car la science n’est pas une affaire d’opinion. Il faut voir à cet égard, l’acharnement des climatosceptiques à défendre leur point de vue.

Cet article est une version courte d’un article initialement paru sur le site de l’Agence Science Presse.

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