Le prix Albert-Londres à un Québécois?

Il y a trois journalistes qui doivent sursauter à chaque fois que le téléphone sonne aujourd’hui. Isabelle Hachey de La Presse et Noémi Mercier et Alec Castonguay de l’Actualité sont tous trois en nomination pour le prestigieux prix Albert-Londres qui sera remis à Bruxelles samedi. Mais s’ils sont les heureux lauréats, eux, le sauront dès aujourd’hui…

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Pour l’instant, il n’est pas question qu’on aille à Bruxelles, raconte Alec Castonguay, en entrevue avec ProjetJ mardi. On ne va pas se payer le voyage pour voir quelqu’un d’autre recevoir le prix… mais si on reçoit un coup de fil jeudi, alors on avisera de ce qu’on fait avec la direction de l’Actualité.»

8sb6FVhD_400x400 «Je ne pense pas qu’on soit de sérieux prétendants, estime pou sa part Noémi Mercier, en nomination aux côtés de son collègue Castonguay pour leur enquête sur les crimes sexuels dans l’armée. Si je regarde les récipiendaires, ce sont des journalistes qui font du grand reportage, qui vont en zones de conflit. Je suis très fière de ce que nous avons réalisé avec Alec. Je ne veux pas en minimiser l’impact. Mais bien que la problématique soit internationale, tous les pays ayant une armée et certains ayant eu déjà à vivre des scandales sexuels, notre enquête à nous est locale.»

Le prix presse écrite a pourtant été remis l’an dernier au journaliste français Éric Pujol, pour sa plongée dans les quartiers sensibles de Marseille. Une enquête dont le jury a apprécié le style «empathique sans être compassionnel, plein d’audace et de fulgurances».

«Ah oui?, s’étonne Noémi Mercier quand ProjetJ le lui fait remarquer. Alors peut-être qu’on a plus de chances que je ne le crois… mais pour ma part, je pense qu’Isabelle Hachey le mérite totalement. Je suis tellement contente qu’elle soit nominée. C’est une journaliste que j’admire beaucoup.»

Deux nominations en deux ans

HACHEY_Isabelle_512x512_LP_400x400Modeste, la reporter de la Presse. En nomination pour la deuxième fois en deux ans, celle qui vient de révéler que François Bugingo n’avait pas couvert autant de fronts qu’il ne le prétendait, ne se voit pas encore dans la peau de la lauréate cette année.

«Parce que je trouve que les reportages pour lesquels j’étais nominée l’an dernier étaient meilleurs, argue-t-elle. Parce qu’il y a encore tellement de bons candidats cette année. Parce qu’il y en a dix, c’est plus que l’an dernier. Et parce que l’enquête d’Alec et Noémi mérite de gagner. C’est un dossier incroyable, qui a fait changer tellement de choses au Canada. Ils pourraient très bien remporter le prix. Je serais très heureuse pour eux.»

Cette année, la candidature d’Isabelle Hachey a été retenue pour ses reportages au Rwanda, au Kurdistan et sur le terrorisme.

«C’est très rare qu’un Québécois soit finaliste du prix Albert-Londres, souligne Alec Castonguay. Alors, trois! C’est toute la francophonie qui est évaluée. C’est donc une bonne nouvelle pour le journalisme d’ici, d’autant que les sujets sont complètement différents. Isabelle Hachey, ce sont ses reportages à l’international, dans plusieurs pays, qui l’amènent là. Nous, c’est ici, à la maison, au Canada, mais pour un dossier qui a des répercussions à l’international.»

Du bon journalisme d’enquête au Québec

Ça fait donc maintenant trois années de suite que des journalistes québécois se retrouvent en finale de ce prix, l’un des plus prestigieux de la francophonie. La preuve que le journalisme d’enquête se porte bien dans la province?

Alec_400x400«C’est certain que ça démontre qu’on est capable de faire du très bon travail au Québec, lorsqu’on a le temps et les moyens, répond le journaliste de l’Actualité. Du travail qui brasse les choses.»

«Mais ça demeure très fragile, nuance Noémi Mercier. J’ai travaillé à temps plein là-dessus pendant près d’un an. Je devais convaincre les femmes de parler. Mener les entrevues, écrire. Et Alec ayant déjà couvert l’armée, il a fait un gros travail de recherche statistique, voir comment ça se passait à l’étranger, etc. Mais on ne savait pas ce qui allait ressortir de tout ça. Au départ, les patrons étaient sceptiques. Ils pensaient que personne ne voudrait témoigner. Et puis lorsqu’on a eu un témoignage, puis deux, ils se sont engagés à nos côtés. Mais ce n’était pas facile. Pendant ce temps-là, je ne faisais rien d’autre. Tous les mois, je devais leur dire que non, je n’en avais pas encore assez pour publier…»

Mme Mercier s’estime également chanceuse: il n’y a pas eu d’autre gros sujets le jour de la publication.

«A posteriori, on regarde le rapport Deschamps, on voit que tout le Canada anglais parle aujourd’hui des crimes sexuels dans l’armée et on se dit qu’on a eu un véritable impact, explique-t-elle. Mais à l’époque, personne n’en parlait. Rien n’indiquait que ça aurait ces répercussions. Le fait que MacLean’s décide de publier notre enquête la même semaine a démultiplié notre impact, c’est certain. Mais il aurait suffit d’une autre une plus forte, pour que toute cette année d’efforts soit réduite à néant ou presque.»

Quoi qu’il en soit, Le jury est en ce moment en pleine délibération. Le grand public saura quant à lui samedi si c’est un Québécois qui remporte cette année, le prix Albert-Londres.

(Photos Twitter)

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