Affaire Bugingo: Plus jamais ça?

Suite aux révélations d’Isabelle Hachey concernant les mensonges de François Bugingo, ce dernier à perdu toutes ses tribunes, d’abord provisoirement, le temps de faire la lumière sur les accusations portées, puis définitivement. Mais des leçons seront-elles tirées de ce scandale qui a entaché toute une profession, qui n’en avait pas vraiment besoin? À cela, les patrons répondent qu’ils feront plus de vérifications au moment de recruter… tout en mettant de l’avant le nécessaire rapport de confiance qui doit prévaloir entre la direction d’un média et sa salle de nouvelles.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

032b84e97c7c.KfGLfHUDmpQ«Nous étions au courant qu’un article sur François Bugingo s’en venait, il nous avait prévenus, raconte Michel Lorrain, vice-président programmation et information au 98.5FM, en entrevue à ProjetJ. Mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit une enquête aussi fouillée et dévastatrice. Nous croyions qu’il s’agirait d’un papier qui remettait en cause des faits difficilement vérifiables et qui dataient des années 90.»

Dans les heures qui suivent la publication de l’enquête d’Isabelle Hachey en une de la Presse+, la direction de la radio annonce qu’elle «suspend jusqu’à nouvel ordre sa collaboration avec le chroniqueur, le temps de faire la lumière sur ces évènements».

«Nous l’avons ensuite rencontré dans les jours qui ont suivi, poursuit M. Lorrain, manifestement marqué par les événements. Il n’a visiblement pas été en mesure d’apporter des explications aux allégations qui se trouvaient dans le journal. Nous avons pris 48 heures, le temps de délibérer.»

Alors, François Bugingo présente sa démission, que la station la plus écoutée à Montréal, accepte.

«La relation de confiance entre le chroniqueur et le public, donc entre le chroniqueur et l’employeur, était brisée, lâche-t-il. Dans ces conditions, comment continuer?»

La puce à l’oreille

Du côté des médias de Quebecor, auxquels M. Bugingo collaboraient également, le cheminement est le même. Le chroniqueur est suspendu temporairement dès le samedi de la publication de l’article. Deux jours plus tard, le groupe annonce mettre un terme à cette collaboration, après avoir rencontré l’intéressé.

Sollicité pour une entrevue, TVA n’a pas retourné la demande de ProjetJ. Le Journal de Montréal a fait savoir pour sa part, par la voix de son directeur opinions, Michel Dumais, qu’il ne souhaitait pas répondre pour l’instant.

«Il y a bien des gens qui sont touchés par cette affaire au Journal, a-t-il confié au téléphone. Nous allons faire notre examen à l’interne avant d’aller sur la place publique.»

Car la question qui brûle les lèvres de tout le milieu, depuis que l’affaire a été révélée, est de savoir si cela aurait pu être évité. Et donc, quelles leçons il faudrait en tirer pour ne pas que ça se reproduise.

«Personne ne peut tout vérifier, surtout lorsque ça se passe à l’étranger, concède Éric Trottier, éditeur adjoint et vice-président de la Presse. Est-ce que mon journaliste en Afrique a vraiment fait cette rencontre-là ce jour-là? Je n’y étais pas pour vérifier… Mais il y a peut-être des choses qui peuvent mettre la puce à l’oreille. Lorsqu’un journaliste voit et vit toujours des choses très grosses. Lorsqu’il y a un massacre, il est là. Lorsqu’un homme se fait égorger, il est là encore. Il a toujours une anecdote qui le met en valeur. Il y a de quoi s’étonner. Ce qui ne signifie pas que je jette la pierre à nos concurrents et que nous soyons à l’abris à la Presse.»

Journalistes maison

Même discours à Radio-Canada. L’objectif est donc de se prémunir le plus possible contre les fraudeurs. En collaborant avec des journalistes travaillant pour des agences ou des médias réputés tels que RFI, l’Agence France Presse. Il estime par ailleurs que nous sommes face à un incident très particulier. Car s’il y a des cas dans l’histoire, de journalistes qui ont composé un reportage, il n’a jamais entendu parler d’un reporter qui aurait bâti toute sa carrière sur des mensonges.

«C’est difficile de se protéger contre une telle fraude car nous fonctionnons beaucoup à la confiance, avoue le directeur général de l’information, Michel Cormier. La chance que nous avons à Radio-Canada, c’est d’avoir des bureaux à l’étranger et des correspondants. Nous sommes sur le terrain. Quand Marie-Ève Bédard est en entrevue en direct en Syrie et qu’une bombe explose derrière elle, on peut difficilement se demander si elle est en train de fabuler. Nous ne commentons pas depuis notre studio de Montréal. Nous avons des images sur le terrain.»

Il n’y a cependant pas que lorsqu’ils proviennent de l’étranger que les reportages peuvent être inventés de toutes pièces ou simplement enjolivés. Pour détecter ces petits mensonges, les salles de nouvelles opèrent des vérifications.

Plus de vérifications

«On pose des questions, confirme Éric Trottier. Je ne veux pas que mes journalistes me révèlent leurs sources, mais je dois protéger le journal. Des cas de travail mal fait, on en a tout le temps. On publie l’équivalent d’un roman de 500 pages tous les jours… Est-ce qu’il y a des erreurs? Certainement. Est-ce qu’il y a des choses graves, des reportages inventés? C’est déjà arrivé avant que je ne sois en poste. Un journaliste prétendait avoir été couvrir un événement sur le terrain… en fait, il l’avait suivi à la télévision. La direction avait agi à l’époque. Moi j’ai 300 journalistes, je ne pas mettre quelqu’un derrière chacun. Alors, on fonctionne à la confiance.»

Et on vérifie les CV au moment de recruter. Tous assurent qu’ils le faisaient déjà, mais qu’ils ne feront encore plus.

«Pour les journalistes, nous vérifions leurs études et nous appelons les précédents employeurs pour savoir s’ils travaillaient bien là, s’ils travaillaient bien et quel type de travail ils faisaient, explique Michel Cormier. Pour les experts que nous mettons en ondes régulièrement et avec lesquels nous avons un contrat, nous faisons de même. Nous examinons leurs compétences et qualifications, nous vérifions qu’ils appartiennent bien à l’organisme dont ils prétendent venir, etc.»

«Nous serons plus prudents à l’avenir dans le processus de vérification des informations que nous donnent les chroniqueurs que nous voulons mettre à l’antenne», garantit Michel Lorrain, tout en réfutant l’idée de devoir vérifier les informations données par ceux qui sont déjà en ondes.

«Je ne vais pas commencer à fouiller dans le CV de Normand Lester, Jean Lapierre ou Mario Dumont!, s’exclame-t-il. Il n’y a pas de chasse aux sorcières. Nous avons confiance en nos chroniqueurs. On ne va tout remettre en question parce que nous avons vécu l’incident que nous connaissons.»

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