«Les jeunes ont la maitrise de la grammaire numérique»

imageÀ la fin avril, Florent Daudens s’est joint au Devoir à titre de directeur de l’information numérique. Certainement pas la fin de la route pour lui, mais un bien bel accomplissement pour celui qui depuis une quinzaine d’années fait partie du petit cercle réfléchissant à la place du journalisme numérique dans l’écosystème médiatique québécois. Projet J s’est entretenu avec lui.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«J’ai toujours été intéressé par le numérique, raconte-t-il. Par l’information numérique. Depuis le tournant de l’an 2000, dès que les premiers sites web des médias ont fait leur apparition. Depuis que je suis dans le métier, c’est tout naturellement que j’ai écrit de plus en plus souvent pour le web, même si je n’ai pas fait que ça. C’est une plateforme qui m’a très vite passionné et que j’ai cherché très tôt à utiliser à son plein potentiel.»

Florent Daudens a d’abord travaillé pour la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ). En tant que pigiste, il écrit ensuite pour la presse magazine, pour Rue89, sa première véritable expérience sur internet, et par la suite en tant que pupitreur web à La Presse. Il entre alors comme surnuméraire à Radio-Canada, toujours pour le web, alors même que le diffuseur public est en pleine réflexion sur la tournure que devra prendre son virage numérique. Les médias sociaux sont de plus en plus utilisés, des modules économiques et culturels sont mis en place afin qu’ils soient déclinés sur les trois plateformes que sont la radio, la télévision et l’internet.

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«Je suis affecté au module économique, indique M. Daudens. Je me spécialise alors sur les médias, les nouveaux médias, la Silicon Valley. C’est là que je me suis rendu compte que l’avenir était vraiment là et que le journalisme numérique allait prendre de l’ampleur.»

Dans les mois qui suivent, le journaliste est affecté aux réseaux sociaux. Il fait ensuite partie de l’équipe qui accompagne les journalistes à muter vers les nouveaux formats. Il imagine ce que pourrait être ces nouveaux formats numériques, comment raconter une histoire sur les plateformes web. Il réfléchit à la narration, à l’intégration des réseaux sociaux dans le récit. Il devient secrétaire de rédaction aux formats numériques.

«J’étais dans une équipe avec des designers, des codeurs, des journalistes et ensemble, on essayait de raconter les choses différemment à la fois en information en continu, mais aussi sur des formats plus approfondis, en magazine, etc.»

Acteurs des changements

Au Devoir depuis un mois et demi, c’est toute cette expérience qu’il met à profit afin de permettre au journal de réaliser son véritable virage numérique.

«Permettre au média, corrige-t-il. Le Devoir n’est plus seulement un journal, c’est un média. Il se décline sur diverses plateformes. Pour réussir ce virage, il va falloir parvenir à embarquer tout le monde dans l’aventure, ajoute-t-il. Il faut accompagner les salles de nouvelles, les intéresser, leur montrer en quoi c’est intéressant. Et ce n’est pas une question de génération. Je dirais plutôt de curiosité. La chance que nous avons, en tant que journaliste, c’est que tous, autant que nous sommes, nous avons commencé à nous informer sur internet, à y faire nos recherches. C’est un média que nous maitrisons. On est spectateur des changements. Reste à en devenir les acteurs.»

Tout en demeurant un bon journaliste, avec toute l’éthique et le professionnalisme que cela induit. Avec toujours cette même volonté de vérifier les faits avant de les propager, de contextualiser, d’approfondir. Le reste n’est qu’une question de support, de technologie. Comme le journaliste de télévision doit savoir manier l’image, le journaliste de radio, le son et le journaliste de presse écrite, les mots, le journaliste numérique doit avoir le sens du storytelling. Il doit sentir dans quel format tel type d’information sera le plus compréhensible par son public.

«Il doit aussi, et c’est un défi pour une partie de la profession, apprendre à travailler en équipe, ajoute le directeur de l’information numérique du Devoir. Car ça demande des expertises particulières pour fabriquer un format numérique.»

Modèle d’affaires

Des expertises que peut-être les jeunes générations de journalistes auront dans leurs bagages lorsqu’elles sortiront des futures formations en journalisme. Un peu partout, les universités commencent à s’adapter à cette nouvelle réalité du métier, même si ces institutions, tout comme les médias du reste, sont des grosses machines qui mettent du temps à prendre les virages. Florent Daudens a donné pendant quelques mois un cours de journalisme à l’ère du numérique à l’Université de Montréal. Il officiait alors à quatre mains, avec Luce Julien, qui s’est jointe elle aussi au Devoir quelques semaines avant lui, à titre de rédactrice en chef.

«Je suis très impressionné par les jeunes, avoue-t-il. Ils savent ce qu’est une information de qualité, une information fiable. Même s’ils s’informent via les nouveaux canaux, ils continuent à consulter les médias traditionnels par exemple. Mais en plus, ils sont nombreux à maitriser l’écriture numérique, cette grammaire qui leur permet de s’adapter aux formats assez naturellement. Ils sentent, ils savent comment manier le médium pour raconter une histoire. Ils ont une capacité de conceptualisation qui fait en sorte qu’ils savent quoi aller cueillir avant même de partir sur le terrain.»

Reste à savoir si le journalisme numérique saura enfin trouver le modèle d’affaires qui lui permettra de trouver les moyens de continuer à faire du journalisme de qualité.

«Faire du bon journalisme, ça coute cher, rappelle Florent Daudens. La technologie fait en sorte que certains coûts de production peuvent être coupés, mais il n’en reste pas moins qu’il faut des équipes pour réaliser un reportage, faire des enquêtes. Les salles de nouvelles ont tendance à se vider ces dernières années. Ce n’est pas pour rien que Le Devoir déménage en décembre. Les locaux sont devenus trop grands. Notre enjeu, au moins ici, au Devoir, c’est d’arriver à rester assez pertinents pour que le public se dise que ça vaut la peine de payer pour ça.»

(((Photo : Florent Daudens)

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